D’un continent à l’autre: brève histoire des Vietnamiennes devenues Africaines

Ndeye Mane Sall
A 2 balles (My 2 cents)
5 min readJul 27, 2020

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A la fin de la guerre d’Indochine, des Vietnamiennes qui avaient épousé des soldats noirs de l’armée française partent vivre en Afrique. Grâce au témoignage de leurs descendants et de rares documents d’archives, nous retraçons leur parcours du Vietnam au Sénégal. Les citations à la première personne sont issues de la nouvelle d’Anne-Marie Niane, “L’Etrangère”.

Capture d’écran du documentaire “Si loin du Vietnam” de Laurence Gavron

La guerre d’Indochine (1946–1954) est décidément une étrange période de l’histoire coloniale. Sortie exsangue de la Seconde Guerre mondiale, la France mobilise ses troupes coloniales africaines pour mettre fin à l’insurrection dans l’Annam et le Tonkin. Vers la fin de la guerre d’Indochine, les Africains (Maghrébins inclus) représenteront près de 43,5 % des forces terrestres du Corps Expéditionnaire Français en Extrême Orient (1). Cet épisode de l’histoire coloniale a donné lieu à des romances improbables mais qui ont pourtant bien existé: celle des soldats noirs et des Vietnamiennes qui se sont aimés.

“Ce fut également dans l’atmosphère enfiévrée des kermesses de l’armée française que je vis Karim pour la première fois. Je n’arrivais pas à expliquer le paradoxe de l’uniforme français sur le teint noir de ce grand sénégalais.”

Les Vietnamiennes dans la guerre d’Indochine

Il est primordial de rappeler que les Vietnamiennes furent particulièrement touchées par les violences basées sur le genre pendant la guerre. Sans énumérer ici les nombreux abus dont elles furent victimes, il ne faut toutefois pas oublier qu’elles furent parfois reléguées au statut de “marchandise d’échange” pour alimenter les maisons closes ou faciliter la conscription. Michel Bodin, spécialiste français de la guerre d’Indochine revient sur les relations entretenues par l’armée française et les “Annamites” dans un article quelque peu stéréotypé envers les Asiatiques et les Africains.

Les Africains aimèrent d’emblée les belles du pays qu’ils considéraient comme des petites soeurs du fait de leur allure frêle.(2)

Malgré cette croyance que les soldats africains étaient peut être plus indulgents envers les Vietnamiens, il serait naïf de croire qu’ils furent exempts de tous reproche: ils étaient au Vietnam pour défendre les intérêts de la France. Néanmoins à côté des récits douloureux de leur présence au Vietnam, il y eut aussi des histoires heureuses: ce sont celles des Vietnamiennes qui firent l’audacieux choix d’unir leur destin à celui des soldats africains.

“Après une longue période de découragement, je décidais de faire front. A la malveillance et à l’agressivité, j’opposais une indifférence que j’étais loin d’éprouver. Je ne dormais pas certaines nuits, craignant d’être l’objet de représailles du Viêt-minh. Ce contexte-là donna à la demande en mariage de Karim les proportions d’une délivrance (…) Personne ne m’appellerait plus “Traînée”. Et le qualificatif quelque peu péjoratif de “Femme de Français” forçait le respect.”

Portraits de famille: Abdoulaye et Thai Thi Lan. Crédits: C.T.

Le temps des séparations

Après la défaite française à Diên Biên Phu, certaines Vietnamiennes qui avaient entretenu des relations avec l’occupant virent leur situation se compliquer. Avec le retrait des forces françaises, beaucoup d’entre elles furent abandonnées à leur sort, parfois avec la preuve ultime de leurs alliances avec l’ennemi français: un enfant. Dans un documentaire sorti en 2011, le béninois Idrissou Mora-Kpaï dresse ainsi le portrait de ces métis de la guerre.

Par ailleurs, certains tirailleurs essayèrent de récupérer leur(s) enfant(s) mais le Vietminh ne voyait pas toujours d’un bon oeil le départ de ces afro-vietnamiens:

Les demandes, faites auprès des autorités vietnamiennes, ne reçurent jamais de réponse, si bien que des tirailleurs se portèrent volontaires pour des seconds séjours dans le but affiché de retrouver leur « famille indochinoise ».(3)

Certains tirailleurs y arrivèrent contre toute attente. Malheureusement une fois arrivés en Afrique, une partie de ces enfants de la guerre seront parfois confrontés au rejet de sa famille paternelle et abandonnés une deuxième fois. Plusieurs d’entre eux seront ainsi confiés à l’Eglise jusqu’à leur majorité.

Un nouveau départ

La situation des Vietnamiennes ayant épousé des soldats français fut différente. A la fin de la guerre,quelques unes d’entre elles firent le difficile choix de suivre en Afrique leurs compagnons noirs qui rentraient chez eux. Il n’était pas rare de voir des mères vietnamiennes accompagner leur fille et leur gendre africain dans ce voyage sans retour. C’est le cas de la famille présentée dans le documentaire de Laurence Gavron et celle de “Alima”, fille et petite fille de vietnamienne habitant aujourd’hui à Dakar.

Hélène Lame Ndoye, une descendante sénégalo-vietnamienne (à gauche). Capture d’écran du documentaire “Si loin du Vietnam” de Laurence Gavron

Combien d’épouses vietnamiennes sont parties en Afrique? Quelques dizaines ou plusieurs centaines? Difficile à dire car il semblerait que les archives militaires françaises n’aient pas documenté ce phénomène:

“Enfin, il y eut de vraies relations amoureuses, ce qui entraîna bien des problèmes pour les militaires qui souhaitaient se marier avec une Indochinoise. À la fin de la guerre, quelques-unes rejoignirent leur mari français en métropole. Il n’y pas d’exemples de ce type pour les Africains, malgré leurs demandes.”

La communauté sénégalo-vietnamienne qui subsiste jusqu’à nos jours vient porter la contradiction à cette affirmation de Michel Bodin, tout comme les témoignages rares mais vivaces comme celui mis en récit par Anne-Marie Niane:

“Ma belle-famille vivait à Saint-Louis et le marché représentait le grand contact avec le milieu sénégalais. Je fus bientôt surnommée “la Chinoise”. Ce quolibet attribué à tort, me suivait à mon passage dans les rues. Et je compris ce que Karim pouvait ressentir quand les Saigonnais l’appelaient “Taî denh”, ce qui signifiait “Français noir”.”

Lire aussi

Moi, fille et petite-fille de Vietnamienne” à Dakar, Entretien avec C.T.

“L’épopée des Marocains du Vietminh”, Jeune Afrique, 09 janvier 2006

Bibliographie

(1)BODIN Michel, Les Africains dans la guerre d’Indochine, Outre-Mers. Revue d’histoire Année 2001 332–333 pp. 449–451

(2)BODIN Michel, « Le plaisir du soldat en Indochine (1945–1954) », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2006/2 (n° 222), p. 7–18.

(3) Ibid.

NIANE Anne-Marie , L’Etrangère (Et) Douze autres nouvelles, RFI, 1985

Filmographie

“Sur les traces d’une mère”, Idrissou Mora-Kpaï, 2011

“Si loin du Vietnam”, Laurence Gavron, 2016“

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