Le cheveu naturel est un cheveu libre jusqu’à ce qu’il ne le soit plus

Ndeye Mane Sall
A 2 balles (My 2 cents)
3 min readOct 30, 2019

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Photo by Suad Kamardeen on Unsplash

Quand le cheveu naturel fait mal au portefeuille

Au Sénégal, comme dans beaucoup d’autres pays du Sahel, avoir les cheveux longs (ou le teint clair) est un canon de beauté, et comme tout idéal, compliqué à atteindre. Le cheveu crépu étant de nature très sec et cassant, il est rare de le voir dépasser nos épaules de femmes noires. Par ailleurs son entretien passe par des tresses ou d’autres manipulations qui parfois contribuent par le fragiliser. En résumé, avoir les cheveux très longs est tellement exceptionnel que mères et filles développent parfois une véritable fixation pour le cheveu long. A tel point que se couper les cheveux est un acte non naturel voire tabou dans certaines cultures.*

En 2015, après une journée particulièrement éprouvante au travail, j’ai décidé que j’avais besoin de changement. C’est ainsi que j’ai poussé la porte d’un salon de coiffure parisien, et demandé que l’on me coupe les cheveux à la tondeuse. Ce n’était ni une excentricité, ni de l’autoflagellation mais simplement une manière de retrouver une certaine forme de liberté. Celle de ne plus me préoccuper de mes cheveux après des années passées à les bichonner. Je vous épargne les réactions de mes proches et mes collègues lorsqu’ils m’ont vu arborer une boule à zéro le lendemain… C’est ainsi que j’ai rejoint la communauté des “nappy”**, ces femmes africaines ou afro-descendantes qui ont abandonné fer à lisser, perruques et produits défrisants pour porter leurs cheveux crépus sans artifice. Mais la désaliénation de nos cheveux allait s’avérer une entreprise plus ardue que je ne pensais.

Des tutoriels en boucle

Quelques mois après ma coupe, j’ai dû visionner à un moment donné un tutoriel pour pouvoir coiffer mes cheveux. Ils commençaient à former une masse pas toujours gracieuse sur ma tête. Depuis ce jour, je ne cesse d’être ciblée par les algorithmes de Youtube ou d’Instagram qui me présentent des tutoriels de coiffure à longueur d’année . Cheveux crépus ou bouclés, en train d’être lavés, peignés, secoués, lissés ou enduits de toutes sortes d’huiles et de crèmes. Ne serait-ce pas là le signe que même les partisanes du cheveu naturel continuent d’entretenir un rapport problématique avec leur chevelure? Jugez-en par vous même. Combien de posts sur une pousse de cheveux spectaculaire ou l’afro le plus majestueux? Et que dire de ces photos affligeantes de femmes en train d’étirer une mèche pour montrer une longueur qui serait autrement passée inaperçue? #shrinkageisreal.

“Je ne suis pas mes cheveux”

Entendons-nous bien, chacune est libre de faire ce qu’elle veut de son corps. Je veux néanmoins souligner que cette surenchère de produits et de contenus marketés “nappy” ne nous fait pas que du bien. J’irai même jusqu’à dire qu’on profite de nos insécurités pour nous vendre un peu tout et n’importe quoi.

Interrogez n’importe quelle adepte de cheveux naturels, et elle vous dira qu’elle dépense beaucoup voire trop d’argent dans des produits capillaires, sans être vraiment sûre de leur effet.

Des bigoudis qui donnent des boucles parfaites ou un super-peigne pour se raidir les cheveux, chaque semaine apporte son lot d’innovation. Difficile d’y échapper. Malgré mon scepticisme, j’ai moi-même cédé plus d’une fois au matraquage publicitaire qui se cache sous ces tutoriels capillaires. Le soit-disant produit miracle et le sèche-cheveux spécial afro dorment depuis dans un tiroir...

L’Afrique étant aujourd’hui une véritable aubaine pour l’industrie de la beauté, de plus en plus de produits spécifiques à la peau noire sont disponibles sur le marché. Et il n’était que temps. Néanmoins il faut absolument que le cheveu naturel reste un moyen d’émancipation et non un nouveau fardeau pour la femme noire. Il serait dommage de remplacer la dictature du cheveu raide par celle du cheveu ethnique chouchouté à prix d’or.

*Porter les cheveux très courts est perçu au Sénégal comme un manque de coquetterie ou un signe d’immoralité

**mot-valise issu de la contraction de “naturel” et “happy” (heureux)

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