Les portes de l’étranger continuent de se fermer pour les étudiants africains

Ndeye Mane Sall
A 2 balles (My 2 cents)
3 min readSep 23, 2019

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Lac Rose, Sénégal — © Ndeye Mane Sall

Ballotés d’ambassade en ambassade, les jeunes africains qui veulent faire leurs études à l’étranger ont de plus en plus de mal à satisfaire aux exigences parfois lunaires des ambassades occidentales. Exemple avec la France et le Canada

Lamine est étudiant en agroalimentaire au Sénégal. Depuis quelques mois, il s’est mis en tête de terminer ses études à l’étranger. Tout naturellement, il pense à la France : il connaît quelques généralités sur son histoire, il en maîtrise la langue. Il s’inscrit donc à Campus France, l’organisme en charge de la promotion l’enseignement supérieur en France, demande un visa étudiant et quelques mois plus tard, le consulat lui donne une réponse.

– « Vous n’avez pas présenté d’éléments suffisants permettant à l’autorité consulaire de s’assurer que votre séjour en France à des fins d’études ne présenterait pas un caractère abusif.”

Apparemment, vouloir faire des études en France suffisait à le rendre suspect d’abus aux yeux de l’administration. Et la fameuse présomption d’innocence ?

– « Les informations communiquées pour justifier les conditions du séjour ne sont incomplètes et/ ou ne sont pas fiables »

Et pourtant, il avait fourni l’ensemble des justificatifs demandés et même un peu plus…

La bourse ou le visa

Ces réponses très détachées ont pourtant des conséquences bien réelles sur le parcours de notre candidat. Il comptait sur son visa pour ne pas perdre une année d’études, l’année académique 2017/2018 ayant été déclarée année blanche par son université. Et leur côté ubuesque est proportionnellement égal au temps qu’il a passé à trouver une formation, à monter son dossier de demande de visa, à chercher un logement à des milliers de kilomètres de chez lui…

Et comme pour l’accabler, ne voilà t-il pas M. le Premier Ministre Edouard Philippe qui décide qu’il faudra désormais débourser 2 770 euros pour s’inscrire en licence. 500 euros de plus que le salaire net moyen d’un fonctionnaire français ( à 2 280 euros), rien que cela ! Il ne manquerait plus que Campus France mette des physios à ses portes.

Au Canada, l’argent a une couleur

Quitte à payer cher des frais de scolarité, Lamine réoriente ses projets vers des pays sans historique colonial. Peut-être seront ils plus accueillants, ou en tout cas plus francs. Et un an plus tard, c’est maintenant le Canada qui lui claque la porte au nez.

– « Nous ne sommes pas convaincus que vous quitterez le Canada à la fin de votre période de séjour. »

Et pourtant le Canada dépense des fortunes pour attirer les étudiants étrangers — et les étrangers tout court — à coup de partenariats publicitaires et de communiqués. A tel point que « S’installer au Canada » est devenu un marronnier dans le paysage médiatique français. Chaque année, les étudiants internationaux rapportent au Canada 15,5 milliards de dollars canadiens, une manne financière qui a presque doublé en l’espace de 5 ans. Comment se fait-il que ce même Canada, chantre du multiculturalisme, se mette à refuser des espèces sonnantes ou trébuchantes car il se pourrait qu’à la fin de ses études, Lamine décide de rester ?

Les « empêchés de voyager »

La réponse se trouve sûrement dans ces statistiques sur l’immigration étudiante au Canada récemment dévoilés par Quartz. Cette année, un candidat africain avait 75% de chance de voir sa demande de visa rejetée par les autorités canadiennes, contre 39% pour les autres candidats. Il semblerait qu’un je-ne-sais-quoi se soit emparé du Canada, et il n’est pas sans rappeler la peur du « grand remplacement », au vu de la réponse des autorités consulaires à Lamine.

Alors qu’ils avaient jusque-là réussi à esquiver les mesures déployées çà et là pour limiter leur circulation — on se rappelle tous de la circulaire Guéant — les étudiants africains ont rejoint les rangs de ceux qu’Achille Mbembe appelle les « corps-frontières », tous ces « empêchés de voyager » en dehors de leur continent.

En attendant, Lamine continue d’étudier les technologies agroalimentaires dans des laboratoires déliquescents, où on épluche des mangues à la main. Il a de toute façon des trésors de patience, héritage doux-amer de ses ambitions contrariées.

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